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Interview d'Ensaf Haïdar : " Mon plus grand espoir est de vivre avec mon mari "

Dernière mise à jour : 14 juin 2023

Crédit photo : Ye Jinghan

Haute comme trois pommes, Ensaf HaIdar tient tête du haut de ses talons aiguille au régime saoudien, l’un des plus répressifs au monde.




Depuis l’incarcération de son époux Raif Badawi - Prix Sakharov pour la liberté de conscience 2015 - elle ne cesse de parcourir le monde pour plaider pour sa libération inconditionnelle.

Condamné à 10 ans de prison et à 1000 coups de fouet en juin 2012, Raif purge depuis sa peine à la prison de Dahaban.


En visite à Paris pour protester contre la tenue le 17 septembre au palais Brongniart d’une conférence de la Ligue Islamique Mondiale (LIM) dont le secrétaire général n’est autre que Mohammed bin Abdul Karim al Issa, l’homme qui était chef du pouvoir judiciaire au moment de la condamnation de son époux Raif Badawi, elle répond aux questions de Nouvelle Veg.



Ensaf, comment va Raif ?

Il est certain que son moral n’est pas au beau fixe. Cela fait 7 ans qu’il est incarcéré dans des conditions déplorables. J’ai quitté l’Arabie saoudite en 2012 pour sauver mes enfants et pour être libre de défendre la cause de Raif, je pensais que son innocence, la solidarité internationale et les pressions sur le régime saoudien allaient plaider en la faveur d’une remise en liberté rapide, mais il est en prison. Il ne voit aucun changement depuis toutes ces années, il ne voit aucun État occidental exercer des pressions réelles sur l’Arabie saoudite pour le libérer, ni au Canada, dont nos enfants et moi sommes aujourd’hui citoyens, ni ailleurs. Cela fait 7 ans que Raif n’a pas vu ses enfants, il ne sait même pas à quoi ils ressemblent. Mon mari n’est pas un criminel, c’est un défenseur des droits humains et des droits des femmes en Arabie saoudite. 7 ans, c’est assez, mes enfants ont besoin de leur père.



Qu’est-ce qui vous a aidée à garder la tête haute pendant toutes ces années ?

Ma foi en mon époux et en la dignité humaine, mes enfants et tous ceux qui nous ont soutenus. Au-delà des sacrifices consentis, le combat que je mène pour Raif est un combat pour la liberté. Dans mon enfance et mon adolescence, j’ai été privée des moindres libertés, j’ai vécu dans les seuls espaces réservés aux femmes en Arabie saoudite, et je suis fondamentalement heureuse d’être aujourd’hui au Québec, une nation qui m’a accueillie et qui m’a offert la liberté. Je suis aujourd’hui fière d’être québécoise et j’ai renoncé sans regrets à la nationalité saoudienne. Je suis heureuse que mes enfants aient accès à des libertés qui m’étaient déniées lorsque j’avais leur âge. Je suis encore debout parce que Raif est debout aussi. Je suis fière de mon mari, de son combat, et c’est mon devoir d’épouse et de femme libre que de me battre pour lui et pour la liberté de tous ceux qui partagent son combat.



Comment avez-vous rencontré Raif ?

Au début, c’était un grand quiproquo. Il a appelé mon numéro par erreur, puis j’ai rappelé par erreur, puis nous avons commencé à parler. En Arabie saoudite, la mixité entre hommes et femmes est interdite, donc ce contact téléphonique était improbable. Grâce à nos échanges, nous nous sommes connus avant de nous rencontrer physiquement. Le jour où je l’ai vu pour la première fois, nous nous sommes regardés sans échanger un mot, et cela a suffi pour que nous décidions de nous marier. La société saoudienne ne permet aucun espace pour l’amour, toute relation, même infime, entre une femme et un homme, doit être sanctionnée par le mariage. Nous marier était donc le seul moyen de nous connaître, de vivre notre amour, et pour moi d’échapper au joug familial. J’ai 7 frères qui étaient opposés à cette union, ils sont allés jusqu’à me menacer physiquement pour que je renonce à épouser Raif, mais j’ai tenu bon. Cela a pris près d’une année de combat avant que je leur arrache le droit de vivre ma vie comme je l’entendais et que je puisse simplement épouser l’homme que j’avais choisi.



Comment arrivez-vous en tant que femme à être en couple avec un homme incarcéré depuis 7 ans ?

Raif a été une personne déterminante pour que je devienne la femme que je suis aujourd’hui. J’ai eu une chance inouïe de rencontrer cet homme libre comme la société saoudienne en tolère si peu. Il m’a encouragée à m’émanciper de tout ce qui constituait une entrave à ma dignité, moi qui étais une jeune femme qui avais toujours vécu derrière un niqab. Nous avons très vite eu des enfants, puis il a été arrêté. Aujourd’hui, je vis avec l’espoir de revoir mon mari, j’ai envie de le connaitre plus, j’ai envie de vivre avec lui, librement.



Vos enfants sont adolescents aujourd’hui, comment vivent-ils la condamnation de leur père pour blasphème ?

Mes enfants ont l’âge d’être sur les réseaux sociaux, ils connaissent toutes les dimensions de l’affaire de leur père et ils sont fiers de lui. D’ailleurs, les deux aînés veulent devenir avocats, sans doute l’injustice que subit leur père a-t-elle fait naître cette vocation en eux.



Qu’êtes-vous venue dire en France à Mohammed bin Abdul Karim al-Issa, Secrétaire de la Ligue Islamique mondiale, qui a animé ici une conférence pour la « paix et la solidarité » ?

J'aurais simplement voulu lui poser une question. J’ai quitté l’Arabie saoudite en 2012. Depuis, j’entends parler de changements : les femmes peuvent conduire, la société devient plus libre avec l’autorisation de la musique et du cinéma, etc. Ce sont des choses pour lesquelles Raif militait dans son blog. Ces mêmes droits pour lesquels se battait Raif sont aujourd’hui autorisés en Arabie saoudite, ...


alors pourquoi Raif est-il toujours en prison ?

Zineb El Rhazoui

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